Fondée après guerre pour aider les chrétiens de l’Est vivant sous le joug communiste, l’Aide à l’Église en détresse (AED) a depuis élargi son action au profit de toutes les Églises souffrantes de par le monde. Entretien avec son directeur pour la France, Benoît de Blanpré, nommé en novembre 2019. (Article paru dans le magazine La Nef janvier 2021.)

La Nef – La chute du communisme en Europe de l’Est a changé la don­ne, quels sont aujourd’hui les critères de l’AED pour aider les chrétiens dans le monde ?
Benoît de Blanpré
– Le père Werenfried, notre fondateur, a gagné son surnom de « Père au lard » en collectant des porcs pour nourrir les Allemands qui vivaient la disette de l’après-guerre ! Puis, il est venu en aide aux prêtres qui se rendaient auprès de leurs paroissiens défavorisés. Autrement dit, notre fondateur a répondu à l’urgence de son temps, au milieu des ruines matérielles et spirituelles de la guerre. Ainsi, depuis ses origines, la mission de l’AED est de venir en aide aux chrétiens persécutés et opprimés, quelles qu’en soient les causes. À l’époque du père Werenfried, c’est effectivement le communisme, européen puis mondial qui représentait la plus grande menace pour l’Église. Plus de soixante-dix ans après, les urgences ont changé et notre Œuvre évolue selon les besoins des Églises locales. À présent, nos aides concernent peu les communautés chrétiennes menacées par des États à l’idéologie marxiste, à de rares exceptions près. Cependant, je constate avec tristesse que les besoins de soutien de l’Église en détresse restent tout aussi importants que pendant la guerre froide.

Quels sont aujourd’hui les principaux foyers de persécution des chrétiens dans le monde ? Y a-t-il une « spécificité » de la haine religieuse ?
Il existe encore quelques pays où des États aux convictions marxistes antireligieuses continuent à menacer les communautés chrétiennes. Je pense à la Corée du Nord, bien entendu, mais aussi à la Chine, à Cuba, et même à la Biélorussie ou au Venezuela. Mais la doctrine marxiste a cessé d’être la principale menace à laquelle les chrétiens sont confrontés. Les différentes formes d’islamisme ont désormais dramatiquement pris le relais, y compris dans des régions où il y avait une entente traditionnelle entre chrétiens et musulmans, comme dans beaucoup de pays d’Afrique.
Il existe en effet une spécificité de la haine religieuse, qui n’empêche pas que beaucoup de conflits soient teintés de querelles ethniques millénaires – comme au Sahel – ou plus simplement de raisons crapuleuses. Cette haine est dirigée vers celui qui croit différemment, parce qu’il est perçu comme une menace pour sa propre croyance… Si les islamistes radicaux se montrent si violents, c’est probablement parce qu’ils ont le sentiment que leur religion est attaquée. La peur et l’ignorance créent le rejet et la violence. Les progrès technologiques, l’accès du plus grand nombre à l’information représentent une menace pour l’hégémonie d’un islam rigoriste, appuyé sur la lecture littérale du Coran. Le nombre de conversions au christianisme inquiète certains radicaux en Iran, en Arabie Saoudite ou en Algérie.

Pourquoi ces persécutions de chrétiens intéressent-elles peu les grands médias habituellement prompts à défendre les droits de l’homme ?
Il me semble en effet que les chrétiens ont un traitement défavorable dans les médias occidentaux grand public. Personne, ou presque, ne parle des nettoyages ethniques en cours qu’endurent des chrétiens au Mozambique ou au Nigeria, alors que l’on parle des Ouighours musulmans en Chine. Cela vient-il de la mauvaise conscience des journalistes héritée du colonialisme ? Ou bien d’un reste d’anticléricalisme ? Ou enfin tout simplement d’une méconnaissance du sujet ? J’avoue ne pas pouvoir l’expliquer clairement. C’est pourquoi la mission d’information de l’AED, pour faire connaître la situation des chrétiens en détresse dans le monde, est essentielle.

Lorsque l’on parle de chrétiens persécutés, on pense d’abord au Proche-Orient où ils tendent à disparaître : que faire pour les aider à rester chez eux dans un environnement souvent très hostile ?
Il est vrai que la situation du Proche-Orient ne prête pas à l’optimisme. Que ce soit en Irak, en Syrie, voire au Liban, toute la zone se vide de ses chrétiens. Pour les aider à rester sur place, il est crucial de soutenir les Églises locales. Elles sont la clef de voûte des communautés. Voici une anecdote qui l’illustre bien ; à Maaloula, petite ville martyre de la guerre civile syrienne et haut lieu du christianisme local, les habitants chrétiens ont attendu que leurs prêtres retournent habiter chez eux pour oser réinvestir leurs domiciles. Aujourd’hui en Irak, dans la plaine de Ninive envahie par Daech en 2014, l’AED finance la rénovation de 2086 maisons et reconstruit d’importantes infrastructures ecclésiales pour permettre aux communautés et aux familles de revenir habiter sur leurs terres.

SYRIE: un homme priant dans les ruines de la cathédrale arménienne catholique à Alep.

Comment protéger les chrétiens quand ils sont attaqués, comme les jeunes chrétiennes kidnappées au Pakistan par des musulmans ou les chrétiens sauvagement tués au Mozambique et ailleurs en Afrique par les islamistes ?
Nous n’avons pas de moyens de pression immédiats contre ceux qui commettent ces actes abjects, mais nous avons l’arme puissante de l’information. Grâce au réseau de l’AED, nous disposons de témoignages directs et sûrs que nous pouvons diffuser pour faire connaître ces situations dramatiques. Et cette information a des effets. C’est tout à fait évident au Pakistan, qui a adopté des lois contre le mariage des mineures sous la pression internationale. Nous soutenons aussi la « Commission Justice et Paix » qui fait un travail remarquable sur le terrain pour désamorcer les conflits et éviter des cycles de vengeances qui aboutissent à des bains de sang.

En Afrique tout particulièrement, l’islamisme s’étend rapidement : quelle en est la raison et comment s’y opposer ?
L’islamisme se répand d’une façon préoccupante sur la bande du Sahel. Dans de très nombreux pays, comme le Mali, le Burkina Faso ou le Niger, les groupes armés terroristes profitent de la faiblesse des gouvernements en place. Ils bénéficient de l’appui des trafiquants en tous genres, qui ont intérêt au chaos ambiant. D’ailleurs la frontière entre l’islamiste et le gangster est souvent floue ! Mais au-delà de ces djihadistes dont l’action très violente est visible, il y a aussi une islamisation des sociétés africaines du Sahel. On voit des mosquées être érigées partout, même dans les villages où il n’y a pas de musulmans ! Les pratiquants occupent les rues pendant les cinq prières quotidiennes, les imams sont envoyés en formation en Égypte ou au Soudan, dans des lieux où ils apprennent la version la plus radicale de l’islam. Tout cela se fait à coups de milliards d’investissements venus d’Arabie Saoudite, du Qatar, du Koweït, de la Turquie ou des Émirats arabes unis. En dehors du Sahel, d’autres pays comme le Mozambique ou Madagascar subissent cette islamisation.

Estimez-vous que des chrétiens subissent des persécutions dans les pays occidentaux, dont la France ?
Je ne parlerais pas de persécution mais plutôt d’un a priori négatif dans les médias. Les chrétiens sont volontiers moqués, leur voix ridiculisée ou ignorée. Mais ils ne sont pas menacés par l’État et bénéficient de la liberté de culte… Et l’Église a récemment fermement réaffirmé qu’elle veillait à ce que cette liberté ne soit pas grignotée.

Le Nigeria reste le pays où le nombre de chrétiens assassinés est le plus important

Dans le climat de violence, et notamment de violence religieuse principalement due à l’islamisme, peut-il encore y avoir un dialogue interreligieux ?
Le dialogue est plus que jamais nécessaire, mais dialoguer ne signifie pas se compromettre ! Pour qu’il y ait un dialogue, il faut que des opinions divergentes puissent s’exprimer. Nous avons l’habitude de proposer des témoignages, des colloques et des conférences pour ouvrir le débat sur ces questions.
Nous espérons qu’en étant ainsi porte-parole de la vérité et de l’espérance chrétiennes, nous contribuons à soutenir et faire grandir l’Église.

Propos recueillis par Christophe Geffroy.

© LA NEF n°332 Janvier 2021

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