Entre 1994 et 1996, Mgr Pierre Claverie et dix-huit autres religieux et religieuses ont été assassinés pendant la guerre civile en Algérie. Samedi 8 décembre, la cérémonie de béatification aura lieu dans la cathédrale du diocèse d’Oran, où Mgr Pierre Claverie était évêque.

Sœur Yvonne Gera, qui appartient à la congrégation des Franciscaines Missionnaires de Marie, a travaillé en Algérie pendant 22 ans. Elle connaissait personnellement chacun des dix-neuf martyrs. Entretien. 

Qui étaient « Mgr Pierre Claverie et ses dix-huit compagnons » auxquels le document officiel de la Congrégation pour la Cause des Saints fait référence ?

Il s’agit de Mgr Pierre Claverie, de sept moines trappistes du monastère de Tibhirine, d’un frère mariste, de quatre pères blancs et de six religieuses de différentes congrégations présentes en Algérie. Ils œuvraient tous pour la population et apportaient leur soutien aux pauvres, aux malades et aux enfants. Le frère Henri, mariste, travaillait à la bibliothèque du diocèse et était au service de plus d’un millier de jeunes, en particulier des enfants pauvres. Certaines des religieuses étaient infirmières. Les sept moines trappistes géraient une clinique – l’un d’entre eux était médecin – et ils soignaient les malades sans leur demander s’ils étaient musulmans ou chrétiens. L’évêque Mgr Claverie disait toujours la vérité au gouvernement et au peuple.

Dans quel contexte ces hommes et ces femmes ont-ils trouvé la mort ?

Je voudrais rappeler que la guerre en Algérie n’était pas une guerre de religions, mais une guerre civile. Les islamistes ont profité de la situation. Le 3 octobre 1993, tous les étrangers avaient été avertis que s’ils ne quittaient pas le pays avant la fin de l’année, ils seraient la cible d’attaques.

La veille de Noël, les terroristes sont venus au monastère. Ils voulaient de l’argent, mais le prieur leur a répondu « Nous vivons de nos récoltes ». Soudain, la cloche s’est mise à sonner pour appeler à la messe de la veillée de Noël, et il leur a dit « Aujourd’hui, le Roi de la paix est né », alors ils lui ont répondu en arabe « Ayisa », ce qui signifie qu’ils allaient revenir.

Cette sommation de quitter le pays ne s’adressait pas seulement aux religieux, mais aussi aux familles chrétiennes étrangères. C’est ainsi qu’entre 1992 et 1993, l’Église a perdu presque toutes les familles catholiques étrangères. Même si nous étions ciblés, nous sommes tous restés. Nous avions l’habitude de dire que le capitaine ne pouvait pas abandonner son navire même s’il sombrait. Nous sommes donc tous restés.

Ils seront tous béatifiés ensemble. Qu’ont-ils en commun ?

À l’époque, presque tous les religieux devaient écrire à leur supérieur général pour lui dire s’ils étaient prêts à rester ou pas. Ceux qui avaient peur sont partis. Mais ces dix-neuf religieux et religieuses avaient un point commun : ils ont décidé de rester malgré les menaces qui planaient sur eux. Ils ont continué de travailler et de prendre soin des gens. Et ils sont tous morts à leur poste de travail.

À cette époque, vous travailliez également en Algérie. Quelle a été votre expérience ?

J’ai travaillé 22 ans en Algérie, dont 14 pendant la guerre.  J’ignore pourquoi je suis en vie aujourd’hui et pourquoi je n’ai pas été tuée à cette époque. J’étais également dans le viseur. Tous les matins, je disais au Seigneur « Protégez-moi, aidez-moi à remplir mon devoir ».

Un matin, j’ai reçu un appel téléphonique de l’ambassadeur de France qui  voulait parler à Mgr Henri Teissier. L’ambassadeur lui a dit : « Rendez-vous à l’hôpital français ». Nous sommes donc allés à l’hôpital français, et là, il y avait sept cercueils. Au début, ils ne voulaient pas ouvrir ces cercueils, mais Mgr Tessier leur a dit : « Si vous n’ouvrez pas les cercueils, je ne pourrai pas vous dire si ce sont des terroristes ou si ce sont des frères ». Alors ils ont ouvert les cercueils et dans chaque cercueil se trouvait la tête de chacun des sept moines trappistes, seulement la tête. Tandis que j’attendais, Mgr Tessier m’a demandé « Voulez-vous les voir ? » et j’ai répondu « Oui, une dernière fois ». Ce fut une vision terrible.

L’Église a énormément souffert. Mais l’Église était présente. Nous n’allions jamais prêché mais toute personne qui venait nous voir était la bienvenue. J’étais responsable des cliniques de l’Église, et toutes ces cliniques étaient dotées d’un centre pour les enfants sous-alimentés ainsi que d’un centre pour les mères et leurs enfants. Tout était gratuit.

Nous n’avions jamais de difficultés avec les gens. Pendant le Ramadan, nous étions invités tous les soirs dans différentes familles pour dîner avec elles. Dans la basilique Notre-Dame d’Afrique, il est écrit « Notre Dame d’Afrique, priez pour nous et pour les musulmans ». Les jeunes femmes, chrétiennes ou musulmanes, qui ne pouvaient pas avoir d’enfant, venaient dans la basilique pour adresser leurs prières à Notre-Dame et y apportaient une poupée. Après avoir donné naissance à un enfant, elles venaient à la basilique pour le présenter à Notre-Dame.

Quel message donneriez-vous aux prêtres et aux religieux travaillant dans des pays en crise, dont certains ont été enlevés ou vivent sous la menace constante ?

Nous sommes missionnaires. Quoi qu’il arrive, nous sommes missionnaires et savons que c’est notre vocation, et je ne dirai qu’une chose : « Vous recevrez plus que vous ne donnerez ». Certes, c’est parfois difficile, mais le Seigneur nous a appelés. Si des êtres humains souffrent, nous souffrons avec eux. C’est notre vocation et le Seigneur est toujours là pour nous aider. Également dans la souffrance, et dans le martyre. Ces dix-neuf martyrs savaient qu’ils étaient menacés, mais ils sont restés. N’ayez pas peur, le Seigneur est là pour vous aider.

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