L’homme est grand, à la forte carrure, le regard fixe, il parle en mooré (la langue des Mossis, l’ethnie la plus importante du Burkina Faso), il nous raconte d’une seule traite l’attaque qu’il a vécue, comme pour ne pas risquer d’être submergé par ses émotions.

« J’étais dans la sacristie pour régler les micros. Il y avait beaucoup de monde dans l’église et plus de places, donc je suis allé dehors. C’est alors que je les ai vu venir. » Les terroristes étaient une quarantaine ce jour-là, ils sont arrivés très vite, en moto, « même les guetteurs n’ont pas eu le temps de nous prévenir ». Ils ont encerclé l’église puis ont fait sortir les hommes. Philippe* a réussi à se cacher dans la cour d’à côté. « J’étais à 4 mètres des terroristes, j’entendais tout. Ils ont demandé aux femmes de se convertir et de porter le voile. Puis ils ont sélectionné cinq personnes ». La voix de Philippe tremble. Il s’arrête un instant avant de reprendre : « Ils ont dit Allah Akbar puis les ont tuées ». Le prêtre qui célébrait la messe, le Père Siméon Yampa, aurait pu s’enfuir par la sacristie mais il n’a pas voulu laisser ses paroissiens seuls. Cela lui a coûté la vie. Il a été tué par deux balles dans le dos. « Ils ont ensuite mis le feu dans la sacristie, j’ai dû me blottir dans ma cachette pour ne pas suffoquer à cause de la fumée. Ensuite ils ont klaxonné et sont repartis. J’étais le premier à sortir (pleurs). Il n’y avait plus personne, tout le monde avait fui. Et là, j’ai vu mon propre père parmi les victimes, mort. »

Un million de déplacés

Des récits comme celui-là, j’en ai entendu des dizaines parmi les nombreuses personnes déplacées, chrétiens comme musulmans, rencontrées au Burkina Faso. 800 000 selon l’Onu mais en réalité sans doute plus d’un million car beaucoup ne sont pas enregistrées. Et plus de 800 morts. Des chiffres qui augmentent tous les jours. Sur un terrain prêté par un généreux propriétaire, les déplacés survivent tant bien que mal. Les tentes sont recouvertes de grands plastiques déchirés, bleu ou noir…il fait déjà 35 degrés à 11h. Les burkinabè se massent à l’ombre des quelques arbres, attendant une aide officielle qui ne vient pas. Seule la générosité des voisins et de l’Eglise leur permet de survivre. Ils sont traumatisés. Une femme raconte qu’elle a perdu son mari, une autre son père…ces camps sont remplis de veuves et d’orphelins car les terroristes tuent surtout les hommes. Les enfants grouillent de partout, et nous regardent avec leurs grands yeux sombres. « L’ennemi est invisible, il ne revendique pas ses attaques » explique l’un des leaders du camp. D’où ces questions qui reviennent, lancinantes : « on ne comprend pas qui nous tue et pourquoi ? Que veulent-ils ? Et d’où viennent les armes ? » Autant de questions qui mériteraient d’être creusées. En profondeur et en vérité.

L’aide internationale ou la charia

Entre les terroristes djihadistes, les bandits de grands chemins, les trafiquants d’armes et de drogues, les rivalités ethniques, les changements climatiques, le Burkina Faso, pays des hommes intègres, se trouve confronté à une situation inédite. Malgré l’extrême complexité de la situation qui fait que tout raccourci est dangereux, certains Burkinabè osent entrevoir deux hypothèses qui se profilent à moyen ou long terme : soit la victoire de la résistance populaire avec l’aide internationale, soit… la charia.

« La résistance populaire est une notion bien ancrée chez nous » analyse un Ouagalais. Trois grands groupes émergent dans le pays ; les Dozo, à l’ouest, le groupe le plus important, les Koglwéogo au sud-est, sorte de « gardien de la brousse », et les Ruga, au nord-est, une police rurale des peuls qui surveillent notamment le bétail. « Face au nombre exponentiel des attaques, le gouvernement a décidé de coordonner ces groupes. » se réjouit-il. Et d’en accroitre le nombre. Ainsi fin janvier, les députés burkinabè ont voté à l’unanimité un texte permettant le recrutement de « volontaires pour la défense de la patrie » avec l’objectif clair de former et d’armer la population. Une solution extrême, potentiellement dangereuse, mais concrète et qui atteste de la volonté du gouvernement de lutter contre le terrorisme.

La Côte d’Ivoire dans la ligne de mire

La seconde hypothèse est la charia. « Un certain nombre de terroristes burkinabè ou étrangers veulent clairement que toute l’Afrique devienne islamique » déplore un responsable religieux, « et que la charia soit introduite au Burkina Faso », comme elle l’a été dans certains Etats du Nigeria par exemple ou au Mali…Sur ce schéma, on peut craindre que la prochaine victime soit la Côte d’Ivoire.

L’islam est aussi un bon prétexte pour les trafiquants de tous genres qui n’ont aucun intérêt au maintien d’un Etat de droit. Les burkinabè ne sont pas dupes, ils témoignent que ces « djihadistes » ne se gênent pas pour tuer d’autres musulmans dont des imams, pour boire de l’alcool et ne pas prier. Pourtant, la voix des imams qui s’opposeraient à l’utilisation de leur religion fait défaut. Peut-être en raison du risque que leur ferait encourir toute déclaration allant à l’encontre des terroristes ?

Le Burkina Faso, habitué à la coexistence pacifique des religions et des ethnies, se montre désarmé face à la crise qui vient. Sans aide internationale, il risque de disparaître.

 

Amélie de La Hougue

 

*Le prénom a été changé par sécurité

Cet article a été publié dans Valeurs Actuelles

 

 

Nous soutenir

Votre soutien nous est nécessaire

Apportez votre pierre à l’édifice, donnez et vous recevrez ! « Donnez et il vous sera donné : on versera dans votre sein une bonne mesure, serrée, secouée et qui déborde ; car on vous mesurera avec la mesure dont vous vous serez servis. » (Luc 6, 38)

Faire un don Tous les moyens d'aider
Faire un don