Depuis des années, des groupes rebelles combattent pour obtenir le pouvoir et les ressources en République centrafricaine. Plus d’un million de Centrafricains ont fui à l’étranger ou dans d’autres régions du pays. Mgr Dieudonné Nzapalainga, le plus jeune cardinal au monde, s’exprime sur la force unificatrice des religions dans la lutte contre la guerre civile.

Éminence, quels ont été les effets de la visite du pape en République centrafricaine en 2015 ?

Le pape a apporté la paix et l’espérance. Sa visite a été un moment inoubliable. Malgré l’impossibilité de s’approcher de la zone que l’on désigne à Bangui comme le « ghetto des musulmans », le pape y est entré. Lorsqu’il en est ressorti, c’était comme lors du Passage de la Mer rouge. Comme les Israélites qui ont franchi la Mer rouge, de nombreux musulmans ont suivi le pape à pied ou en moto – et sans crainte. C’était la libération. Un grand miracle. Pour les musulmans, le pape est venu les libérer de ce quartier où ils étaient enfermés. Aujourd’hui, ils peuvent se déplacer librement dans la capitale, ce qui était impossible auparavant. La visite pontificale a permis que le monde s’intéresse à la République centrafricaine. Des chaînes de télévision du monde entier ont couvert la visite du pape. Le pape a exigé des religions de rechercher ensemble des solutions. Nous avons tous un aïeul commun, Abraham – notre aïeul dans la foi. Nous avons tout en main pour nous réunir et nous mettre en route sur le chemin de la paix.

Vous êtes considéré comme l’un des trois « saints » de Bangui…

C’est le quotidien français Le Monde qui a parlé des « trois saints de Bangui ». Parce que nous nous comportons en frères et que nous voulons surmonter la scission, ce journal s’est peut-être dit que nous devions être des saints… Les deux autres sont Nicolas Guerekoyame-Gbangou, pasteur de l’Église évangélique Elim Bangui-M’Poko et chef de l’Église protestante centrafricaine, et l’imam Omar Kobine Layama, président de la conférence islamique. Nous trois nous sommes réunis pour constituer un forum et pouvoir dire que la notion de « religion » implique de « relier ». Une caractéristique de la religion est de relier les êtres humains entre eux – comme « du bon miel ».

Vous êtes trois dignitaires religieux. En cette qualité, comment pouvez-vous exercer une influence ?

Nous nous adressons aux consciences. Nous n’avons pas d’armes. Notre arme, c’est la Parole de Dieu. Nous venons frapper aux portes des cœurs. Notre autre mission est de leur dire : « tu ne tueras point ». Nous tentons de désarmer la tête et le cœur. Vous pouvez désarmer quelqu’un de force en lui prenant son fusil, mais s’il n’est pas convaincu dans sa tête et dans son cœur, il se procurera simplement un autre fusil. Notre pays ne subit pas une crise religieuse, mais une crise politico-militaire. Certains instrumentalisent la religion pour s’emparer du pouvoir et des ressources naturelles, comme l’or et les diamants. En République centrafricaine, le pouvoir de l’État s’est affaibli : quatorze des seize préfectures sons contrôlées par les rebelles. Le chef des rebelles détient le véritable pouvoir. Il peut décider de la vie ou de la mort d’une personne.

Que faudrait-il entreprendre pour plus d’équité et moins de corruption dans le pays ?

Nous pensons qu’avec ce qui est arrivé dans notre pays, justice doit être rendue aux victimes. Il y a des civils qui ont tout perdu. Il y a des personnes qui ont tué et qui doivent l’avouer. Il faut que les gens arrêtent de croire que l’on peut gagner beaucoup d’argent grâce à la corruption – cela doit cesser. Le droit et l’ordre public doivent être rétablis. Nous voudrions que nous tous soyons soumis à la loi. Nous voudrions que le meurtre d’une personne soit sanctionné par la prison. Mais momentanément, le meurtre bénéficie d’impunité totale. La justice doit donc être rétablie. On tue pour de l’argent, pour des diamants, pour beaucoup d’autres choses. Celui qui possède des armes prend les décisions. Pour avoir une société saine, il faut fixer des objectifs clairs aux gens. Les ressources naturelles sont l’une des causes de nos difficultés dans ce pays. La Centrafrique Les gens viennent de partout pour en tirer avantage et les revendre au Soudan, au Cameroun ou au Tchad. Comme l’État ne contrôle absolument plus rien, les rebelles peuvent vendre les diamants à l’étranger et s’enrichir. Il faut faire en sorte que cela cesse. Nous devons construire des routes, des établissements scolaires, des centres de soins médicaux. C’est dans ce sens que les choses doivent évoluer.

Près de 2000 personnes ont trouvé refuge au séminaire de Bangassou. Comment se présente la situation ?

C’est très difficile, pour ne pas dire catastrophique. L’évêque a eu le courage d’accueillir tous ces musulmans sur son territoire, mais les jeunes gens qui sont armés veulent les tuer. Voilà pourquoi il est là pour les protéger, et qu’il encourt lui-même le risque de mourir. Il faut comprendre que si quelqu’un n’a plus rien à manger, il agira comme un loup. Voilà pourquoi nous sommes maintenant confrontés à cette situation. L’Église est là, elle offre une protection, mais cette Église a également besoin de la communauté internationale.

Que signifie d’être catholique en Centrafrique ?

Je dis souvent aux gens que l’Église catholique est universelle. Cela signifie diversité. Et si je suis vraiment catholique, alors je dois aussi accueillir chez moi les musulmans et être bon envers eux, je dois également être bon envers les protestants – ils sont tous des enfants de Dieu. C’est exactement ce que nous avons fait durant la crise. Six mois durant, j’ai hébergé l’imam chez moi. Si l’Église nous soutient ici, notre mission sera alors de jeter des ponts entre les religions, vers les protestants et les musulmans. Nous nous réunissons pour prier ensemble, nous nous réunissons pour parler de nos peurs et pour agir ensemble. Au centre du pays, il y a beaucoup de camps de réfugiés. Les gens ne peuvent plus se rendre aux champs pour y travailler. Ils ne peuvent plus aller pêcher. Ils ont peur partout parce qu’ils ne sont en sécurité nulle part. Et ils sont enfermés dans leur camp. La situation est donc catastrophique. L’Église est là, aux côtés de ces gens, pour continuer à les accompagner. Grâce au soutien de l’Église et de ses œuvres de bienfaisance comme l’AED, nous pouvons réaliser des projets ensemble.

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