Le Père Samer Nassif est prêtre libanais maronite du diocèse de Saïda (le Sidon biblique). Actuellement en France au service de l’AED, il revient d’une mission dans le pays du Cèdre où réside encore une partie de sa famille. Interview sur une situation inédite.

1. Quelle est la situation des Libanais que vous avez rencontrés récemment ?

Les Libanais vivent une descente aux enfers. En effet, depuis six mois déjà, nous assistons impuissants à une dévalorisation sans précédent de la livre libanaise, qui a perdu plus de la moitié de sa valeur. Pis encore, les banques bloquent l’argent des épargnants de manière tout à fait arbitraire, acculant les citoyens à mendier hebdomadairement à leurs portes des montants dérisoires.
Les causes de cette crise sont multiples. Corruption généralisée, état dans l’État. Le Hezbollah, milice pro-iranienne, contrôle la quasi-totalité des ressources et en use à son gré, au détriment des citoyens libanais, soutien international médiocre, flux incessant de 2 millions de réfugiés syriens et irakiens, crise sanitaire et confinement suite à la covid 19 et enfin explosion du port le 4 août dernier, qui a détruit Beyrouth, et mis à terre ce qui restait de son économie. Depuis l’explosion, 200 000 Libanais, surtout les jeunes, ont émigré !

2. Qu’en est-il du sort des chrétiens tout particulièrement ?

Ce sont les plus touchés par l’explosion du Port de Beyrouth avec les quartiers chrétiens de Gemyazeh, Mar Mickaël et Acharfieh. Une centaine d’écoles ont été endommagées par les explosions, 10 hôpitaux ont été détruits entièrement ou partiellement, 3000 sociétés chrétiennes ont déposé leur bilan et 300 000 chrétiens ont perdu leurs maisons. Au moins une centaine d’églises ont eu des dégâts partiels ou graves. L’Église fait tout pour exhorter ses fidèles à ne pas partir car il n’y a pas de Liban sans les chrétiens, qui l’ont fondé et lui donnent son âme. Le Liban, c’est 5 millions d’habitants et sa diaspora 20 millions. Aujourd’hui l’émigration libanaise en général et surtout chrétienne est à son comble.

3. Qu’est-ce qui vous a le plus touché lors de votre dernier séjour ?

La situation de mes collègues prêtres. C’est très difficile car les paroissiens ne peuvent plus donner d’offrandes aux prêtres, ils survivent avec un petit salaire fourni par leur évêque, qui lui aussi a du mal à maintenir ses finances. Certains prêtres, je dois avouer, m’ont demandé si je pouvais leur trouver du travail en France et pourtant, comme tous les Libanais, ils sont attachés à leur terre et ne veulent pas abandonner leurs paroissiens. C’est la première fois que je vois ça et pourtant le Liban a traversé beaucoup de tempêtes !

4. Comment expliquer que le Liban n’arrive pas à sortir de sa crise politique ?

Ce n’est guère une passagère crise politique. Mon pays vit aujourd’hui une épreuve, humainement et politiquement existentielle, il risque de ne plus exister parmi les nations. En effet, les deux occupations, israélienne et syrienne, qui ont fini par quitter le Liban respectivement en 2000 et 2005, nous ont laissé une bombe à retardement, le Hezbollah, organisation idéologique et milice lourdement armée. Même si ses membres sont des chiites libanais, son agenda est dicté par l’État des mollahs en Iran. Après 40 ans d’existence et devant le silence des nations du monde entier, cette organisation a tissé des réseaux forts dans l’État libanais, désormais faible.

L’académicien émirati, Abdel Khaleq Abdallah, a déclaré fin décembre 2019 que le Liban ne pourrait point espérer bénéficier de l’aide financière des pays riches du Golfe tant que le pays du Cèdre sera entre les mains de l’Iran, par Hezbollah interposé. Cette vérité explique les sanctions de l’administration Trump contre les banques, qui se sont effondrées.

Si le Hezbollah masque ses actions par la lutte contre Israël, ses véritables intentions, révélées dans sa charte, se résument en deux points : inféoder le Liban, comme un simple département, à l’État des mollahs en Iran ; changer son système politique pour adopter celui de la République Islamique fondée par Khomeini.

Le combat semble long et douloureux pour vaincre un Hezbollah soutenu par ses mentors extérieurs – les mollahs d’Iran – et servi par ses collaborateurs intérieurs, les leaders corrompus. Vu la complexité de la situation nationale et régionale, et compte tenu du principe de non-ingérence, la France et les autres puissances amies du Liban sont actuellement incapables d’offrir une solution efficace. Mais les Libanais espèrent toujours que cette énième « occupation interne » du pays, sera vaincue un jour. Après tout, l’histoire entière du Liban n’est-elle pas qu’une succession d’occupations et de libérations, à commencer par l’hégémonie sumérienne et à finir par les armées israélienne et syrienne ?…

5. Le Patriarche Bechara Raï prône un « État neutre » comme la Suisse, quel est votre avis ?

Notre Patriarche a complètement raison. Il a déclaré, en communion avec le Vatican, que la seule issue serait d’adopter, à l’instar de la Suisse, le principe de la neutralité « militante » du Liban. C’est-à-dire l’absence d’ingérence d’un autre État -la Syrie par exemple- dans ses affaires intérieures, ainsi que le refus d’entrer dans des alliances ou des conflits régionaux ou internationaux.

La guerre au Liban, n’avait pas pour origine un problème constitutionnel ou politique. Elle fut en grande partie instiguée par des puissances régionales qui voulaient régler leurs comptes sur le territoire de ce petit pays déjà affaibli par l’exode de centaines de milliers de réfugiés palestiniens.

6. Quel est votre espoir pour demain ?

Sur le plan spirituel, je vois trois soutiens indéfectibles : Celui de la Vierge Marie, vénérée par les chrétiens et non chrétiens. Le Liban a été dédié à Son Cœur Immaculé et depuis 12 ans, les Libanais célèbrent le 25 mars, jour de l’Annonciation, comme fête nationale et fériée. Ensuite le soutien de St Charbel ; sa foi rayonne plus que tous les chrétiens réunis et il est l’auteur de très nombreux miracles, alors nous pouvons le prier avec confiance pour l’avenir du Liban. Et enfin, celui de nombreux martyrs des dernières décennies. Le Pape François déclarera bientôt le Père Raghid et trois diacres, tués sauvagement en juin 2007 en Irak, bienheureux martyrs.

Sur le plan humain, j’ai confiance dans les Libanais. La diva Feyrouz avait bien raison de chanter « Peu importe ce qu’ils disent ! Que nous ne sommes qu’un petit pays, fait de montagne et de rochers ! » En réalité, les Libanais sont un peuple remarquable, qui se distingue tant par son audace que par son ambition. Et notre « petit pays » fut en outre consacré par le Pape Jean-Paul II lorsqu’il déclara : « le Liban est plus qu’un pays c’est un message ».

Nous croyons sincèrement que la survie du Liban sauvera l’Église, qui ne peut témoigner librement de sa foi au Levant qu’à partir de cette Montagne. Du salut de ce pays de liberté et de dialogue, viendra l’antidote qui soulagera les plaies des Levantins.

Reste l’impossible défi, comment ce jeune État fera-t-il triompher son droit à une existence libre et souveraine alors qu’il est en guerre depuis des décennies, continuellement occupé par des forces étrangères, menacé par la montée de l’intégrisme religieux, entouré par des autocrates sanguinaires et concurrencé par Israël qui peine à vivre en paix avec les Orientaux ? Je crois et j’espère que le « Message du Liban » sortira vainqueur de toutes ces épreuves : cette foi, les Libanais y sont attachés et l’ont inscrite dans leur cœur et leur âme.

Article paru dans le magazine de l’AED L’Eglise dans le monde, n° 201, Décembre 2020-janvier 2021.

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