Le 27 janvier 2019, deux bombes ont explosé dans la cathédrale de Jolo, dans l’archipel des Sulu, entre Mindanao et Bornéo, tuant 23 personnes et en blessant 112 autres. Cette tragédie a été suivie d’un attentat à la grenade, le 30 janvier, dans la mosquée de Zamboanga à l’ouest de l’île de Mindanao. Le père Sebastiano d’Ambra, missionnaire de l’Institut pontifical des missions étrangères (PIME) qui œuvre depuis 40 ans pour le dialogue interreligieux dans le sud des Philippines, explique à l’AED la situation dans ce pays du continent asiatique qui a le plus grand nombre de catholiques.

AED : Père d’Ambra, vous êtes prêtre à Zamboanga, non loin de l’île de Jolo. Pourriez-vous nous décrire la situation sur place, après l’attentat du 27 janvier ?

Père d’Ambra : Cela nous a tous profondément choqués, en raison de la violence de cette attaque, bien entendu, mais aussi parce qu’elle touchait un lieu sacré. Malheureusement, cette violence s’inscrit dans un contexte d’augmentation des tensions. Depuis ces quelques dernières années, il y a de plus en plus de radicalisme. Mais la petite minorité chrétienne de l’île de Jolo (1% de la population totale de 120 000 personnes de l’île de Jolo, ndlr) n’en est pas la seule victime. J’entends des musulmans qui viennent me voir et me disent : « Père, nous aussi nous sommes menacés parce que nous ne sommes pas le même genre de musulmans qu’eux ! ».

Trois jours après l’attentat de la cathédrale, l’explosion d’une grenade dans une mosquée à Zamboanga, où vous habitez, a fait deux morts. Craignez-vous un conflit interreligieux ?

Je ne crois pas qu’il faille connecter les deux attentats. Je n’imagine pas des chrétiens allant venger leurs morts en attaquant un lieu de culte musulman. Je crois au contraire qu’il faut à nouveau y voir l’œuvre de ces groupes extrémistes qui ajoutent toujours plus de violences et de confusions. Ils veulent séparer les chrétiens des musulmans. Ils veulent profiter de la situation et provoquer le chaos dans tout le pays pour remettre en cause son équilibre. Un équilibre qui repose en bonne partie sur les relations entre les fidèles des différentes religions.

Selon les autorités, pourtant, la guerre contre le terrorisme islamique est en passe d’être gagnée. Partagez-vous cette analyse ? 

Pas du tout, non. La tension interreligieuse est bien là, malheureusement. Ce n’est pas parce que des chefs de groupes extrémistes ont été exécutés qu’il faut croire que le gouvernement philippin gagne la guerre. C’est une erreur ! Je sais bien que l’armée fait ce qu’elle peut pour contrôler ces groupes,  mais je ne crois pas que cela soit suffisant. Les groupes comme Daech, Maute ou Abu Sayyaf, ont un désir commun de semer le trouble dans le pays. Ils peuvent revenir en force dans les temps qui viennent. Je ne dis pas qu’il faut vivre dans la peur, mais il faut être réaliste, je ne les vois pas déjà défaits ! Je crois que notre amitié avec nos voisins musulmans va être mise à l’épreuve.

Vous-même, avez-vous le sentiment que votre vie est en danger ?

Oh, vous savez, cela fait 40 ans que je suis ici. J’ai bien eu le temps d’être ciblé, je dirais à plusieurs reprises. Une fois de façon tout à fait claire, quand j’ai été pris dans une embuscade. La balle qui m’était destinée a tué l’un de mes amis. À cette époque, j’étais négociateur auprès des rebelles musulmans. C’était une expérience inhabituelle, un prêtre, parmi ces groupes pendant presque trois ans. Nous avions établi de bonnes relations de respect mutuel, et je suppose que l’idée qu’un seul prêtre pouvait être plus efficace qu’un millier de soldats, pour faire la paix, a dû frapper ceux qui ne voulaient pas la fin du conflit. Cette attitude se retrouve de nos jours. Certains musulmans nous disent que nos programmes de dialogues entre chrétiens et musulmans ne sont pas du goût des extrémistes.

Avez-vous un message final à confier ?

N’ayez pas peur ! Croyez bien que l’amour est plus fort que la haine. Je remercie l’AED pour être si proche des chrétiens en difficultés dans le monde et je demande à tous les chrétiens de promouvoir, à leur niveau, le dialogue, pour échapper à la logique du conflit.

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